Histoire du Scoutisme

«Dans chaque garçon, il y a au moins 5% de bon. À vous de le découvrir et de l’épanouir jusqu’à 90 ou 95%.» C’est ce qui guidait Baden-Powell en ce 1er août 1907 alors qu’il menait 21 garçons, issus de milieux sociaux très différents, vers l’île de Brownsea, au sud de l’Angleterre. Durant 9 jours en pleine nature, ces gamins des villes allaient devoir apprendre à vivre et évoluer ensemble… selon des principes visant à en faire des hommes débrouillards, serviables et droits, et artisans de paix. Ce premier camp «expérimental» fit la preuve à Baden-Powell que ses méthodes de formation plaisaient aux jeunes et fonctionnaient réellement.

La voie de l’aventure scoute était désormais tracée, les bases furent clairement posées et explicitées dès le mois de janvier suivant (1908), au travers de la première édition du manuel « Scouting for Boys ».

L’engouement extraordinaire des jeunes…

Cet ouvrage, «Éclaireurs» en français, devient la référence du scoutisme, de ses fondements pratiques et philosophiques, de ses buts et de «l’esprit scout» tels que voulus par Baden-Powell. Le succès est immédiat… 110 000 exemplaires sont vendus la première année… et plus de 100 millions depuis, ce qui en fait l’un des livres les plus vendus de tous les temps.

Mais l’engouement le plus extraordinaire est celui de la jeunesse britannique pour le scoutisme en ce début de XXe siècle. Dès 1909, ce sont plus de 100000 jeunes qui portent le foulard dans de nombreuses troupes créées dans toute l’Angleterre. À la faveur de vacances prises par Baden-Powell en Amérique du Sud, le Chili devient l’un des premiers pays où le scoutisme apparaît. En France, c’est également dès 1909 à Nantes que le pasteur Emmanuel Chastand expérimente la pédagogie scoute avec un groupe d’adolescents de la Mission populaire évangélique protestante… mais c’est à Paris que sera créée l’année suivante, au foyer de Grenelle, la première troupe d’éclaireurs Unionistes. D’autres suivront rapidement sous l’impulsion de Samuel Williamson.

«En faire des hommes dignes de ce nom»

En 1910, B-P visite le Canada et les États-Unis où le mouvement a déjà essaimé. La même année, la première «compagnie» de guides, pendant féminin du «scouting for boys», voit le jour!

Sur les conseils du roi d’Angleterre, ÉdouardVII, Baden-Powell démissionne de l’armée pour prendre la direction du mouvement dont déjà l’ampleur impose non seulement une structuration rigoureuse, mais une mobilisation totale!

Baden-Powell affine sa pédagogie scoute… Rapidement, il différencie alors des classes d’âge, les Louveteaux (8-12 ans), les Éclaireurs (12-17 ans), puis en 1919, les Routiers (17 ans et plus), adaptant activités et objectifs à chaque niveau, mais poursuivant un même but final: «en faire des hommes dignes de ce nom»! Le mouvement se développe… Les scouts marins sont créés.

En France, contrairement au modèle anglais, les mouvements se créent selon une logique religieuse, les Éclaireurs français «laïcs» de Pierre de Coubertin, les Éclaireurs de France, d’inspiration neutre, les éclaireurs unionistes, d’inspiration protestante. A la veille de la Première Guerre mondiale, les trois associations comptent entre 10000 et 15000 scouts. L’église catholique, hostile au scoutisme, qu’elle accuse d’être d’essence protestante et maçonnique, s’oppose alors fortement à la création de mouvements catholiques!

Le premier Jamboree… l’esprit scout, la paix retrouvée…

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale, en 1914, aurait pu entraîner l’effondrement du mouvement scout, mais il n’en fut rien… Nombreux furent les scouts qui se montrèrent à la hauteur de leur idéal en ces temps si difficiles et douloureux…

En Angleterre, notamment, cela s’illustra de bien des façons. Ainsi, par exemple, les scouts marins se rendirent disponibles pour prendre le rôle des gardes-côtes et permettre à ces derniers d’être pleinement mobilisés dans la guerre contre l’Allemagne du deuxième Reich.

Au sortir de la Grande Guerre, Jacques Sévenin, après plusieurs camps expérimentaux à Mouscron, publie en 1919 «Le scoutisme, étude documentaire et applications», et décide de créer un mouvement catholique qui promeut la pédagogie scoute pourtant décriée dans les milieux ecclésiastiques de l’époque. Il fédère alors les quelques expériences de scoutisme catholique qui existent déjà en France et crée, en juillet 1920, les Scouts de France.

Le premier Jamboree Scout Mondial est organisé, dès 1920, à Londres et réunit, pendant 10 jours, quelque 8000 éclaireurs de 22 nations, qui y célèbrent, dans l’esprit scout, la paix retrouvée et apportent la preuve que des jeunes de nations différentes peuvent se rencontrer pour partager des intérêts et des idéaux communs.

1922, déjà un million de scouts… Le mouvement se structure…

Durant ce Jamboree, le mouvement mondial scout se structure encore davantage… la première Conférence Mondiale du Scoutisme, avec des représentants de 33 organisations scoutes nationales, officialise la création d’un Bureau International des Boy Scouts, qui devint plus tard le Bureau Mondial du Scoutisme. Baden-Powell est alors nommé World Chief Scout (chef scout mondial).

L’année 1922 marque le passage symbolique du million de scouts dans le monde !

Entre les deux guerres mondiales, le scoutisme continue à croître dans toutes les parties du monde – excepté dans les pays totalitaires où il est interdit. Le second Jamboree de 1924 (Copenhague), puis le troisième à Birkenhead (1929), près de Liverpool, regroupent toujours plus de jeunes scouts (50000) d’horizons et de nations différents (42).

 

Le message d’adieu de B.-P.: «Soyez toujours fidèles à votre promesse»

Au cours du Jamboree de 1937, aux Pays-Bas, une page importante de l’histoire du scoutisme se tourne… puisque B.-P., alors âgé de 80 ans, fait ses adieux devant 28750 scouts venus de 54 pays… Il écrira quelque temps avant sa mort, depuis le pied du mont Kenya où il a décidé de terminer sa course ici-bas, une lettre d’adieu qui ne devait être publiée qu’après sa mort: «Je crois que Dieu nous a placés dans ce monde pour y être heureux… Soyez toujours fidèles à votre promesse d’éclaireur, même quand vous aurez cessé d’être un enfant – et que Dieu vous aide à y parvenir!»

Dans le chaos de la Seconde Guerre mondiale, nombreux sont les scouts fidèles à leur idéal et à leur promesse qui, désireux de se rendre utiles, prennent une part active dans de nombreux actions et services auprès de la population. Ainsi, certains sont des messagers, d’autres des veilleurs anti-incendie ou des pompiers, des brancardiers, des premiers secours, etc.

Dans les pays occupés, le scoutisme poursuivit ses activités secrètement et les scouts jouèrent un rôle important au sein de la résistance et des mouvements clandestins. A la fin de la guerre, on découvrit que le nombre de scouts s’était, paradoxalement, accru dans plusieurs pays occupés.

L’après-guerre en France: à l’apogée succède la crise…

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale… après le jamboree de la paix de Paris en 1947, le scoutisme est, durant quelques années, à son apogée dans la société française. Mais assez rapidement, plusieurs évolutions majeures vont en quelques années changer la donne… spécifiquement pour le scoutisme français.

À l’engouement majeur de l’après-guerre (210000 scouts) succède une crise du mouvement… qui va alors être parcouru de courants divers l’éloignant parfois bien loin des fondamentaux du scoutisme!

Ainsi, par exemple, les éclaireurs de France entendent faire évoluer la pédagogie scoute et notamment développer des principes de coéducation!

Chez les Scouts de France, conséquences de l’esprit du temps, «celui de la libération et d’après-guerre», mais aussi de la réalité vécue par nombre de jeunes durant le conflit mondial, le constat est sans appel: «il y a un déclin de l’esprit de dévouement et de service, la méthode n’éveille plus le même intérêt, il y a une crise de l’idéal».

Michel Menu nommé responsable national de la branche «Éclaireurs» des Scouts de France s’attache à reprendre en main cette branche destinée aux garçons de 12-17 ans… et veut lui faire retrouver «l’esprit scout» tel que le concevait B-P.

Paradoxalement, il entreprend alors une innovation majeure, en créant les raiders scouts, scouts aînés censés être des «modèles» dans la connaissance des techniques et l’engagement dans l’aventure scoute.

 

Entre remobilisation et dissensions…

Reste que cette nouvelle «catégorie» qui réussit à remobiliser et à «garder» nombre de scouts parmi les plus âgés, engendrera au sein du mouvement de vives tensions et de profonds désaccords sur les finalités poursuivies par cette «innovation», ses conséquences pédagogiques et pratiques, et incidences au sein des troupes. L’aventure «raiders scouts», bien que non dénuée de résultats, ne perdurera pas au-delà du milieu des années 60.

Elle débouchera, de facto à partir de 1964, sur les réformes de «modernisation» pédagogique menées par François Lebouteux, et à un redécoupage (dans une partie du mouvement) des tranches d’âges, entre les pionniers 11-14 ans et les rangers 14 à 17 ans.

Mais ce choix «organisationnel» est aussi et peut-être surtout un choix «pédagogique» fort, car guère en adéquation avec l’esprit scout de la passation des connaissances au sein des patrouilles et de la formation des plus jeunes par les plus anciens. Dans le même temps, dans le nouveau projet pédagogique, l’aventure en pleine nature, la BA (Bonne Action), le système de progression (classes et brevets) sont abandonnés, au profit du projet de chantiers et d’une culture plus citadine.

De 1964 à 1970, les deux approches «pionniers/rangers» et unitaires (une seule pédagogie pour les 12/17 ans) coexistent au sein des Scouts de France. Mais, en avril 1970, la direction des Scouts de France impose ses nouvelles méthodes et approches à l’ensemble du mouvement. Des dissensions apparaissent.

Le vrai scoutisme en danger…

En 1971, après plusieurs tentatives avortées de dialogue avec les dirigeants du mouvement, une vingtaine de groupes s’associent pour créer les Scouts Unitaires de France (SUF). Ils sont rapidement suivis par des jeunes filles qui souhaitent s’affilier au mouvement naissant.

Durant ces années 60, un nouveau mouvement scout apparaît aussi en France: les Scouts d’Europe français, qui trouvent leurs origines dans les Scouts d’Europe, fondés en 1958 avec une idée européenne et œcuménique (à l’origine!). Cette association aux dimensions alors réduites connaît un fort essor, concomitamment aux tensions que vivent les Scouts de France dans les années 1960. Un nombre important de troupes désireuses de rester fidèles aux pratiques traditionnelles du scoutisme, quittent les Scouts de France et passent chez les Scouts d’Europe.

Au tournant des années 70, pré et post soixante-huit, le scoutisme protestant est lui aussi en proie à bien des dissensions, entre les tenants d’un projet éducatif dit «moderne», promouvant de nouvelles pratiques (abandon de la promesse, de l’uniforme, de la dimension spirituelle, effacement de la pédagogie scoute, mixité…) et les tenants du scoutisme dans la ligne tracée par Baden-Powell… Les premiers ayant pris les rênes du mouvement, nombre de troupes décident alors de quitter la Fédération des Éclaireurs éclaireuses Unionistes de France (FEEUF), dont les effectifs seront divisés par deux, passant de quelque 12120 en 1971 à moins de 6200 en 1981 (pour moins de 6000 en 2020). Dans le même temps, nombre de troupes protestantes résolues à maintenir le vrai scoutisme, ayant obtenu un agrément ministériel spécifique, se développent hors de la FEEUF…

 

Un climat hostile… le scoutisme vilipendé…

Durant les années 80 et 90, le scoutisme français dans sa diversité vit bien… Les effectifs totaux avoisinant les 140000 pour l’ensemble des mouvements.

Mais, au tournant des années 2000, le scoutisme français doit faire face à bien des vents contraire, notamment en raison d’un climat politique et sociétal devenu quasi hostile… L’idéal, l’aventure, la pédagogie scouts sont stigmatisés, le scoutisme vilipendé… et la législation adaptée aux spécificités du scoutisme évolue… se faisant même parfois très coercitive…

Nombre de troupes peinent à survivre, d’autres même préfèrent suspendre leurs activités. Le milieu des années 2000 sera marqué par un plus bas historique en termes d’effectifs depuis l’après-guerre. En 2004, les Scouts et Guides de France doivent fusionner…

Mais, les faits sont têtus et la preuve par l’exemple la meilleure manière d’avancer ! Et, petit à petit, solidement ancrés sur leurs valeurs et bien décidés à en démontrer toute l’actualité dans cette société du début du XXIe, les mouvements se réclamant du scoutisme des commencements (SUF et Scouts d’Europe notamment) voient le nombre de jeunes s’engageant sur la piste scoute croître.

Et la pédagogie scoute redevient une solution pour la jeunesse

Bientôt paraissent les premiers articles de presse redécouvrant les vertus du scoutisme pour les jeunes, donnant la parole à des décideurs économiques ou hommes politiques se remémorant les bons souvenirs de l’aventure scoute et ses bienfaits dans leur cheminement vers l’âge adulte. Le regard de la société change… La pédagogie scoute redevient une voie bénéfique, voire une solution pour une jeunesse souvent en perte de repères et d’idéal: respect de l’autre et de ses différences, goût de l’effort, sens civique, du vivre ensemble, souci de l’environnement… Qui mieux que le vrai scoutisme peut montrer la voie à suivre, tout en offrant un cadre rassurant et clair pour faire s’épanouir une âme saine dans un corps sain?

Aujourd’hui, la France compte quelque 180000 scouts… chiffre qui recouvre une grande diversité de réalités. Si une majorité des mouvements s’est regroupée au sein de la Fédération du Scoutisme français (Éclaireurs et éclaireuses de France, Unionistes ou encore Israélites, Scouts et guides de France, Scouts musulmans et Eclaireurs de la nature), d’autres, et non des moindres et parmi des plus dynamiques –également agréés par les pouvoirs publics– n’ont pas fait ce choix (Scouts Unitaires de France ou Guides et Scouts d’Europe notamment), préférant garder leur autonomie et leur ancrage dans la pédagogie traditionnelle scoute.

 

«La meilleure manière d’atteindre le bonheur est de le donner aux autres»

Mais, au-delà du simple cas français, le mouvement scout est désormais présent dans 216 pays et ce sont quelque 50 millions de jeunes qui, de par le monde, bénéficient de cette formidable aventure humaine qu’est le scoutisme!

Baden-Powell expliquait aux chefs scouts: «Puisque Dieu a donné aux garçons une énergie sans bornes, un esprit curieux et enthousiaste, un petit cœur sensible, une imagination débordante, c’est à vous d’en faire pleinement usage au lieu d’étouffer ces dons»… et il exhortait aussi chaque jeune scout: «Essayez de quitter la terre en la laissant un peu meilleure que vous ne l’avez trouvée; faites votre devoir d’abord, vos droits vous seront reconnus ensuite; et souvenez-vous que la meilleure manière d’atteindre le bonheur est de le donner aux autres» sans jamais oublier que «la bonne volonté est la volonté de Dieu.» Quel message d’actualité!

Deux des réflexions essentielles du fondateur du scoutisme, Baden-Powell

 

– «Nous avons découvert que de jeunes garçons, lorsque l’on croit en eux et qu’on leur fait confiance, étaient tout aussi capables et fiables que des hommes…»

– «J’ai voulu transformer ce qui était un art d’apprendre aux hommes à faire la guerre, en un art d’apprendre aux jeunes à faire la paix…»

«Tout a commencé en 1908, mais le virus du scoutisme m’avait « pris » bien avant cela». Des années après le lancement du mouvement, son fondateur Baden-Powell évoquait, dans un entretien accordé à la revue britannique «The Listener», ce que fut la genèse de l’idée du scoutisme, telle qu’il l’a vécue. Il y révélait notamment l’importance de ce qu’il avait connu dans son enfance, dans les bois et les campagnes de Guildford, non loin de Londres, et qui l’avait convaincu des bienfaits d’un apprentissage à «l’école de la nature».

 

Dans les bois et les campagnes, à l’école de la nature

«Quand j’étais jeune, à Charterhouse», confiait-il notamment, «j’avais beaucoup de plaisir à piéger des lapins dans les bois […] Quand j’en attrapais un, ce qui n’était pas souvent le cas, je l’écorchais, le cuisais et le mangeais […].

En faisant cela, j’ai appris à ramper silencieusement, à marquer mon chemin pour le retrouver, à repérer des traces et à lire leur signification, à prendre pour mon feu du bois mort sec sur les arbres et non sur le sol, à faire un petit feu sans fumée pour échapper au regard de mes maîtres; et si ceux-ci arrivaient, je tenais prête une brassée de feuillages pour éteindre le feu et cacher l’endroit avant de gagner un arbre recouvert de lierre où je pouvais me nicher sans être vu, au-dessus de la ligne de vision du chercheur moyen».

 

Il fut étonné de l’implication des jeunes «cadets de Mafeking»

Mais c’est plus tard, alors qu’il servait en Afrique du Sud dans l’armée royale britannique, que Baden-Powell observa quelque chose qui allait constituer, par la suite, l’une des véritables «pierres de base» du scoutisme. «Lorsque nous avons été assiégés à Mafeking en 1900 (une ville dont il participa à la défense, avec succès, durant un siège de plus de 200 jours – ndlr), mon officier d’état-major, Lord Edward Cecil, a réuni les garçons de la ville et en a fait un corps de cadets chargé de transmettre des ordres et des messages, et d’aider en tant qu’infirmiers, à la place des militaires, qui ont ainsi été libérés pour aller renforcer la ligne de feu».

B.P. constata alors que, le plus souvent, ces missions étaient remplies avec sérieux, et beaucoup d’application: il en conclut que le fait de confier une responsabilité à des jeunes, voire très jeunes, constituait une excellente pédagogie; et que la confiance témoignée, que d’autres n’auraient pas accordée, était, en retour, honorée par l’implication de ces «jeunes recrues». «Nous avons alors découvert», expliqua-t-il, «que de jeunes garçons, lorsque l’on croit en eux et qu’on leur fait confiance, étaient tout aussi capables et fiables que des hommes».

 

Une formation «par l’expérience»

Déjà lui-même avait eu l’occasion de bénéficier d’une formation par l’expérience, basée sur la pratique et la confiance, ayant servi auprès d’un officier, le colonel Sir Baker Russel, qui était connu pour préférer chez les soldats l’initiative plutôt qu’une obéissance «mécanique». Il avait par la suite mis cette pédagogie en pratique lorsqu’il lui fallut former des éclaireurs pour l’armée, des «scouts», en Inde – alors colonie britannique– où il était responsable de missions de reconnaissance (un « scout » est, à l’origine, celui qui part en avant, en éclaireur, en exploration…).

 

«Je voulais que chaque homme devienne un individu efficace, complet et fiable»

«Lorsque ces jeunes gens s’enrôlaient dans l’armée», expliquait-il, «ils avaient appris la lecture, l’écriture et le calcul à l’école, mais en règle générale, pas grand-chose d’autre. C’étaient de gentils garçons, et ils faisaient de très bons soldats de parade, obéissant aux ordres, propres et élégants, mais on ne leur avait jamais appris à être des hommes, à prendre soin d’eux-mêmes et à prendre des responsabilités.

Ils n’avaient pas eu mes chances d’éducation en dehors de la salle de classe. Ils avaient été élevés «en troupeau» à l’école, ils avaient été formés comme «troupeau» dans l’armée; ils faisaient simplement ce qu’on leur disait et n’avaient aucune idée ou initiative propres. En action, ils exécutaient des ordres, mais si leur officier était abattu, ils étaient aussi impuissants qu’un troupeau de moutons. Vous auriez dit à l’un d’eux de partir seul avec un message par une nuit noire et, neuf fois sur dix, il se serait égaré.

Je voulais leur faire sentir qu’ils étaient à la hauteur de n’importe quel ennemi, capables de trouver leur chemin avec les étoiles ou la carte, habitués à remarquer toutes les traces et tous les signes, et à lire leur signification, et capables de se débrouiller seuls loin des cuisines du régiment et de la caserne. Je voulais qu’ils aient du courage, par confiance en eux et par sens du devoir. Je voulais qu’ils sachent comment prendre soin de leur propre santé et comment cuisiner leur propre nourriture; bref, je voulais que chaque homme devienne un individu efficace, complet et fiable».

 

Il groupa les «éclaireurs» en petites unités

B.P. groupa alors ses hommes en petites unités ou patrouilles, chacune sous les ordres d’un chef, il leur apprit à suivre des pistes, à se tenir cachés, à réaliser des croquis. Il leur donna une devise en reprenant ses initiales: « Be Prepared » – «Sois Prêt», et attribuait aux plus méritants un badge reprenant le symbole du point nord de la boussole.

Dans les moments plus calmes, il organisait des entraînements sous forme de jeu, et rassemblait parfois ses hommes pour un bivouac le soir autour d’un feu. Il s’en inspirera plus tard et retiendra notamment les principes de l’éducation par le jeu et des veillées.

 

«Aids to Scouting»: le succès inattendu de son premier livre

Cette expérience de formateur le conduisit à écrire son premier ouvrage, en 1899, «Aids to Scouting for Soldiers» – «Aide au pistage pour les éclaireurs», dont il recommandait la lecture aux militaires qu’il formait. Plus tard, lors d’un nouveau séjour en Inde, ayant un corps de cavalerie sous ses ordres, il divisa à nouveau le régiment en petites escouades, permettant aux jeunes officiers subalternes de prendre leur part de responsabilités. Il insista également sur la discipline à l’intérieur du groupe, et la renforça par des contacts personnels et amicaux avec chacun de ses hommes.

De retour au Royaume-Uni, il fut étonné de l’intérêt que de nombreux jeunes Britanniques, en dehors des cercles de l’armée, portaient à son ouvrage «Aids to Scouting» – bien que ce dernier n’ait pas été écrit pour eux. Il reçut de nombreux courriers de jeunes lui demandant des conseils.

 

La condition des jeunes Britanniques des quartiers pauvres le marqua

Mais il découvrit aussi autre chose, qui le marqua: nombre de ces jeunes, en particulier dans les quartiers les plus pauvres, ne jouissaient pas d’une bonne santé, et restaient souvent désœuvrés.

Il chercha dès lors la réponse à apporter, la meilleure réponse possible. «À la fin de ma carrière militaire », confia-t-il, «je me mis à l’œuvre pour transformer ce qui était un art d’apprendre aux hommes à faire la guerre, en un art d’apprendre aux jeunes à faire la paix». Une autre «pierre de base» qu’il retient à ce moment-là: la nécessité, pour former les équipes, les patrouilles, de «mélanger» des jeunes de différentes origines sociales. Il fut en cela un précurseur de l’authentique «mixité sociale», avec d’autant plus de mérite que son contexte culturel –celui de la société britannique de l’époque– était complètement opposé à une telle idée.

 

Jusqu’aux associations d’indianisme aux USA…

Au cours de ses recherches, Baden-Powell étudia également d’autres organisations, la manière dont ces organisations étaient structurées, les activités qu’elles menaient… afin de s’inspirer de tout ce qui pouvait lui sembler utile et digne d’intérêt: les cadets militaires, mais également des associations d’aide aux pauvres, ou encore des associations d’indianisme aux USA, entre autres.

Ce cheminement aboutira en partie en 1907, à Brownsea, au premier «camp scout» de l’Histoire, puis plus complètement ensuite, avec notamment la rédaction du plus célèbre ouvrage de B.P.: «Scouting for Boys»– «Éclaireurs». B.P. lui-même sera étonné de l’expansion si rapide du mouvement, tel un feu embrasant des milliers de jeunes et de moins jeunes, sans que lui-même ait réellement prévu ou structuré ce développement.

 

«La « fleur » a commencé d’elle-même à pousser…»

«En réalité», confiera-t-il plus tard, «je n’ai pas vraiment supervisé le début du mouvement Scout, parce que la « fleur » a commencé d’elle-même à pousser […] le scoutisme a commencé de lui-même».

Mais c’est bien chacune de ces étapes, de ces expériences, de ces observations, de ces recherches, qui auront été nécessaires, et qui auront permis au créateur du scoutisme de trouver enfin la réponse à son profond désir de faire quelque chose pour les jeunes Britanniques –et quelle réponse!, non seulement pour les jeunes Britanniques, mais au-delà, pour tant de jeunes, dans le monde entier, et aujourd’hui encore.